Le billet de la semaine
NOUVELLES DU FRONT DANS “LES RAPPORTS ENTREPRISES ET SOCIÉTÉ”
Par Patrick d’Humières
HORIZON ? PROMESSE OU LUBIE ? FAUT-IL CROIRE DANS « L’ÉCONOMIE RESPONSABLE » ?
Depuis que quelques grands investisseurs institutionnels, américains et pas seulement européens, ont montré qu’ils ne voulaient plus placer leur argent dans des entreprises indifférentes à leur pollution, leur impact en Société et quelques principes de base de bonne gouvernance aussi, on se met à croire que le capitalisme peut être vertueux. Ce dont on avait désespéré depuis les drames de Bhopal, de l’Erika ou du Rana Plaza qui avaient agité les assureurs sans remettre en question les comportements d’en haut.
Le jeu s’est structuré depuis vingt ans autour d’une montée en puissance politique de grandes ONG, défiant une communication non moins puissante de grandes entreprises autour de nouvelles pratiques dites de responsabilité. A y regarder de près, ceci n’a rien changé aux courbes de performance des résultats, à la concentration des acteurs et des revenus, confortant le business dans l’idée qu’en s’attachant à quelques principes de bonne conduite, on pouvait sauver la légitimité du système. Jusqu’à ce qu’on constate deux limites plus fortes que toutes les intentions affichées. C’est l’inexorable montée du réchauffement climatique qui s’inscrit dans la géophysique implacable. Et c’est la transformation des sociétés humaines avec les technologies du web qui effacent les frontières sociales et culturelles, rendant partout inacceptables les pratiques injustes et les discriminatoires.
Le changement de pied du World Economic Forum, passant du culte de la performance à l’appel au modèle durable, caractérise le mieux cette prise de conscience chez les dirigeants que la gestion du système ne doit pas continuer « as usual ». Le rapport publié en septembre par l’Institut Montaigne, se raccrochant à toutes les réformes engagées au fond à Bruxelles, donne dans ce registre d’un capitalisme réformiste et réformable. Après avoir boudé la création des « raisons d’être » et des entreprises à mission par la loi Pacte, pourtant pas plus dérangeantes que la recommandation des « purpose » outre-atlantique, les grandes entreprises s’en emparent au point que l’Institut français des Administrateurs a même osé affirmer récemment que le rôle de l’entreprise était de créer de la valeur durable. Une sorte de doxa universelle fait désormais de la RSE le stade évolué du management.
Et pour consacrer cette tendance, la France nomme à son gouvernement une Secrétaire d’État à l’économie responsable chargée de suivre ces impulsions. La décision est un pari car on attend d’elle qu’elle définisse ce qu’est l’économie responsable, qu’elle propose une feuille de route et qu’elle dise comment elle va s’y prendre pour changer un système qui se décide partout et nulle part, dont la crise sanitaire fracture la solidité et dont aucune organisation n’assume la régulation effective, même si on se hasarde parfois à parler d’une économie sociale de marché pour justifier l’État Providence au côté d’un capitalisme qui a fait du social une variable d’ajustement. Mais on notera l’avancée qui ne met plus sur le seul dos des entreprises la production responsable et qui reconnaît sa dimension systémique. On convoque enfin l’État et la régulation internationale, quitte à rendre le projet inatteignable, à moins de s’accrocher à quelques petits objectifs réalistes dans les années qui viennent….
Une sorte de doxa universelle fait désormais de la RSE le stade évolué du management.
De fait, après des décennies de débats infinis sur les rôles respectifs des acteurs dans la gestion des externalités d’une économie dont les progrès matériels font encore accepter les impacts illégitimes, les économistes et les politiques savent que « la responsabilité économique » suppose des cadres forts, des sanctions et incitations réelles et des opérateurs qui s’en emparent. Ce dernier point étant en marche, reste à savoir quelle zone souveraine est prête à peser sur une entreprise et comment, pour qu’elle respecte un dispositif de « durabilité » et pas seulement de conformité, l’alignant sur l’accord de Paris, réduisant son empreinte, assurant la vigilance de sa chaîne de valeur mondiale et répartissant la valeur créée d’une façon équitable entre toutes les parties. Avec le pré-requis de ne pas nuire et de payer ses impôts !
Inutile d’insister sur la volonté de la Chine ou des USA de s’engager sur cette voie. Reste donc l’UE seule face à ses convictions et ses intérêts pour déterminer de quelle façon elle peut concilier compétitivité et durabilité. Certes, on a (presque) réussi l’Union bancaire, on tente l’union industrielle et on parle de l’union fiscale mais la vision d’un modèle juridique d’entreprise durable est encore une chimère à laquelle on préfère les trusts hollandais et les projets boursiers. Comme on le voit dans la guerre Veolia Suez, on se dispute sur la taille, la rentabilité mais pas sur la contribution à la durabilité ! Ou l’Europe résout cette question de la crédibilité de l’entreprise en économie responsable, ou on se payera de mots encore longtemps…
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